Statistiquement, 92% des nés-moldus découvrent leur vraie nature à l'âge de onze ans… Qu'en est-il des 8 % restants ?
Quelques mois plus tôt, son père, un homme farfelu qui se plaisait à donner trois coups sur une toile et appeler ça un chef d’œuvre (
« un vrai artiste ! » si on écoutait sa mère), s'était découvert une nouvelle source d'inspiration : les moutons. Et comme à chaque fois, une telle illumination s'était accompagnée d'un déménagement.
Ils vivaient à présent, et surtout éphémèrement, dans une maison immense, au style champêtre au beau milieu de nul part. A part leur élevage, il n'avait aucun signe de vie à des kilomètres à la ronde, à l'exception peut-être d'un sanglier que la fillette n'avait guère envie de rencontrer. Aussi, c'est en trainant des pieds que, chaque soir, Niels montait dans la voiture de sa mère, à la sortie de l'école, sachant pertinemment qu'une fois chez elle, elle s'ennuierait à mourir.
Elle en était presque venue à regretter l'étrange voisinage que la phase «
cafards » leur avait apportés. Cette période les avait certes cantonnés dans un appartement minuscule, si mal isolé que de la moisissure commençait à apparaitre autour des fenêtres, au milieu d'un quartier peu fréquentable de Londres… Mais au moins, elle y avait des amis chez lesquels s'amusaient lorsque son père se postait derrière son chevalet alors que sa mère, une femme aux longs cheveux blonds et aux traits strictes dont la seule folie avait été de s'être éprise d'un homme aussi étrange que monsieur Enswiller, s'affairait à faire les comptes.
A présent, il n'y avait personne avec qui s'amusait, personne à qui jeter des sceaux d'eau par la fenêtre… Aussi, elle avait pris l'habitude de déserter la maison et d'enfourcher son vélo. Elle l'abandonna sur le côté de la route, à quelques kilomètres de chez elle, devant ce qu'il restait d'une vieille demeure. Ces ruines étaient devenues son parc de jeu. Elle sautait de muret en muret, déplaçait assez fréquemment les quelques meubles que les anciens propriétaires avaient bien voulu laisser… Elle s'était même inventée une histoire de fantôme qui hanterait les lieux (mais bon, il n'était pas vraiment méchant parce qu'à sept ans, Niels n'était pas bien courageuse).
Ce jour-là, quelque chose d'inhabituel attira l'attention de la fillette lorsqu'elle franchit ce qu'il restait du seuil de la maison… Une voix s'échappait du salon. Elle s'étrangla presque en l'entendant. Le fantôme qu'elle s'était imaginé ne pouvait pas être vrai, n'est ce pas ? Prudemment, poussée par sa curiosité, et surtout armée d'une branche plus grande qu'elle qu'elle avait trouvé par terre, Niels s'avança à petit pas, s'appliquant à ne pas faire le moindre bruit. A travers l'encadrement, elle aperçut la silhouette d'un adolescent. Elle l'observa un instant, hésitante. Il était de dos, elle aurait très bien pu l'assommer… Mais une autre idée lui vint à l'esprit : et si elle prétendait être le fantôme ? Elle lâcha doucement son arme au sol, amenant ses mains près de sa bouche pour s'en servir de porte voix et s'apprêta à faire de drôle de sons lorsqu'elle l'entendit marmonner quelques mots incompréhensibles.
Aussitôt, de petites flammes bleues qui lui semblèrent jaillirent du sol se mirent à danser à quelques pas du garçon. Elle ne put réprimer un hoquet d'étonnement qui résonna dans les décombres de la bâtisse. Sa curiosité piquée à vif, elle renonça à sa farce et sortit de sa cachette en accordant bien plus d'attention au feu fraichement apparu qu'au garçon qui sursauta avec horreur en l'apercevant. “
Comment t'as fait ça ? ” Niels était presque arrivée à sa hauteur lorsque l'adolescent se mit finalement par formuler une réponse. “
Nonmaist'asrienvu!C'estrien!Vat'enmoldue! ” Il avait parlé si rapidement qu'elle ne comprit pas la moitié de ses mots, particulièrement le dernier… ce qui expliquait l'air perplexe qui se lisait sur on visage. Il pointa soudainement sur elle un morceau de bois que Niels n'avait pas remarqué jusque là. Il était bien trop poli comparé à celui que la fillette avait entre les mains quelques instants plus tôt pour avoir été ramassé sur les lieux mais ce ne fut pas ce qui la frappa.
“
Oubliettes ! Oubliettes ! OUBLIETTES ! ” S'égosillait le garçon, les traits déformés par la terreur, en agitant frénétiquement son bâton. Surprise par une telle réaction, elle marqua un temps d'arrêt avant de se mettre à hurler à son tour en espérant couvrir la voix de son interlocuteur pour le faire taire. “
C'EST PAS UN CHÂTEAU, Y A PAS D'OUBLIETTES ! ” En vain, il continuait sa drôle de complainte. “
OUBLIETTES ! OUBLIETTES ! ” Un éclair d'une étrange couleur s'échappa du bâton qu'il tenait et frappa de plein fouet Niels qui s'écroula sur le sol, le regard vide, incapable de bouger, de parler…. ou même de penser.
Un bruit aigu retentit dans toute la maison. A première vue, la personne à son origine avait peur qu'on l'oublie puisque le son était contenu… Elle n'avait pas du enlever son doigts de la sonnette. Lorsqu'elle l'entendit, Jeanne était penchée sur un nombre incalculable de feuilles sur lesquelles des chiffres bien trop importants pour être lus aisément à voix haut s'entassaient. Elle espéra, l'espace d'un instant, que son mari (plus proche et sans doute moins occupé) s'en chargerait mais comme l'horrible bruit ne cessait, elle décida de se lever. Ils ne recevaient jamais personne : leur nouvelle demeure était bien trop éloignée de toute civilisation pour que d'autres humains s'y aventurent… Aussi, elle s'apprêta quelques instants devant le miroir, espérant laisser une bonne impression à ce visiteur et l'inciter à revenir. Elle détacha ses longs cheveux blonds, aborda son plus beau sourire et ouvrit la porte. Devant elle, se tenait, le doigts toujours posé sur le bouton de la sonnette, un homme au visage marqué par le temps. Jeanne, bien trop habituée aux habitudes farfelues de son mari, ne remarqua même pas son étrange accoutrement. A la place du costard élégant que portaient les gens d'importance, l'homme était vêtu d'une chemise rose à fleurs, une cravate à rayures jaune et une veste noir bien trop étriquée pour lui permettre de lever les bras avec aisance… C'était sans parler de ses chaussures, au contraire, bien trop grande qui lui donnait l'air d'un clown. Maintenant, elle y reconnaitrait sans doute un sorcier au sang pur essayant naïvement de se faire passer pour un moldu… Mais à l'époque, elle n'y voyait qu'un homme, sans doute perdu qui allait lui demander son chemin.
“
Madame Enswiller ? ” demanda t-il d'une voix grave qui glaça le sang de Jeanne. La dernière fois qu'on l'avait interpelé ainsi, c'était pour sortir son mari de prison après qu'il ait décidé d'insulter quelques policiers qui passaient par là. “
Qu'est-ce qu'il a encore fait ? ” s'exaspéra t-elle. Elle aimait son mari tout autant qu'il l'agaçait. Il faut dire qu'ils ne se ressemblaient en rien et que, parfois (ou plutôt : une majorité du temps), elle avait l'impression qu'il était moins mature que leur propre fille, et elle avait sept ans… Mais, la surprise qui se lut sur son interlocuteur lui fit douter que son époux ait quoique ce soit à faire avec l'arrivée de l'homme sur leur porche. “
Qu'est-ce qu'il y a ? ” demanda t-elle, les lèvres pincées. Elle n'avait jamais aimé les surprises, qu'elles soient bonnes ou mauvaises… “
Votre fille… ” Commença t-il d'une voix douce qui ne fit qu'inquiéter un peu plus Jeanne. “
a eu un accident ” rajouta t-il. “
Un accident ? Quel accident ? De quoi vous parlez ? ” intervint-elle. “
Vous et votre mari devriez venir avec moi. Mais… ” Il marqua une pause lourde de sens. “
il se pourrait que vous soyez décontenancés par la situation. ”
Et c'était peu dire ! En l'espace d'une soirée, elle apprit que des choses comme les sorciers existaient, qu'ils vivaient parmi nous, cachés, que leur fille en était une et mieux encore : que l'un d'entre eux - un enfant qui plus est ! - avait décidé de s'en prendre à Niels. Il avait, selon les dires du sorcier qui les avait emmenés, était surpris par sa présence et avait mal réagi en utilisant la magie alors que cela lui était interdit en dehors de l'école. Jeanne s'était faite un plaisir de lui rappeler à quel point il était irresponsable de la part des sorciers de les laisser agir ainsi, qu'elle espérait qu'il serait sévèrement puni. Sa baguette avait cassé, leur avait-on dit… Ce qui n'avait rien de bien rassurant à ses yeux. Elle aurait préféré qu'on lui annonce qu'il soit condamné à un an dans un centre éducatif pour mineurs délinquants mais il paraitrait que chez les sorciers, ça ne se fait pas. Aussi, elle s'était plainte durant des heures au près de son mari, bien trop émerveillé par les choses qu'il découvrait, pour réaliser la gravité de la situation. (Il faut dire que foncer dans la vitrine d'un magasin de vêtement pour entrer dans un hôpital nommé après une mangouste avait quelque chose de déroutant pour un simple moldu.)
Leur fille avait été la victime d'un sortilège d'amnésie formulé par un sorcier inexpérimenté ce qui n'avait, par chance, pas affecté la totalité de sa mémoire mais avait causé quelques " dommages " que les potions qu'on lui fit boire à plusieurs reprises pendant près d'un an ne surent réparer.
Les premiers mois furent sans doute les plus durs pour ses parents : emmagasiner toutes les informations, se voir refuser de l'emmener voir son médecin traitant parce qu'il n'y pourrait rien ou encore ne pouvoir la ramener à la maison avec eux… C'était trop. Et c'était sans compter qu'à chaque fois que son regard se posait sur sa fille alors qu'elle entrait dans la pièce où les sorciers la gardaient, un sourire bienveillant se dessinait sur les lèvres de Jean alors que ses yeux s'humidifiés. Il fallut près de trois semaines à Niels avant d'être capable de se rappeler de son propre nom et le double pour qu'elle se souvienne de ses parents, encore persuadée qu'ils vivaient toujours dans ce lugubre appartement dans les rues de Londres. Le plus dur étant fait, le reste s'enchaina même si quelques effets secondaires restaient : l'oubli de noms, de gens, d'une consigne qu'on lui a donné quelques minutes plus tôt… Autant de détails avec lesquels ils durent apprendre à vivre.
(...)
Niels garde un très mauvais souvenir de sa première année.. Certes, cela faisait quatre ans qu'elle connaissait l'existence du monde sorciers mais ça ne l'empêcha pas de se sentir aussi perdue que n'importe quel autre moldu lorsqu'elle franchit les portes de Poudlard.
Il faut dire qu'elle avait passé les dernières années à errer dans les couloirs de Ste Mangouste, à trainer avec d'autres malades. Aussi, ses capacités sociales en avaient pris un coup. Si les nombres déménagements lui avaient permis de développer son habilité à se faire des amis, avoir pour compagnon de chambré un sorcier empoisonné par une étrange potion ou atteint de la variole du dragon a légèrement changé les choses… C'est sans doute ce qui explique ses répliques étranges…
A moins que ce ne soit tout simplement encore du au sortilège d'amnésie… Un détail que les médicomages lui avaient conseillée de cacher et dont les élèves se sont très vite rendus compte. Comment expliquez-vous qu'elle arrive en cours au bout d'une demie heure et qu'un simple «
J'avais oublié… » suffise à l'excuser au près des professeurs alors qu'en temps ordinaire, dans un tel cas, un autre élève aurait facilement perdu dix points et si cela se reproduisait, aurait fini en retenue ? Très vite, le mot s'est répandu et Niels est devenue la victime de certaines farces de mauvais goût entre autre… ceux qui se plaisaient à lui faire croire qu'elle avait fait certaines choses qu'elle n'a jamais fait.
Avec le temps, elle a malgré tout appris à en jouer. S'apitoyant sur son sort pour attirer la pitié des professeurs, elle n'a pas hésité à faire toutes les âneries imaginables que l'on puisse faire à Poudlard… Mais surtout, elle a créé sa petite affaire : si un autre élève a fait quelque chose de punissable, Niels accepte de prendre le blâme en échange de quelque chose (généralement, une mornille) puisqu'il y a peu de chance qu'elle soit sanctionnée. Faute d'avoir des notes convenables ou d'être la sorcière la plus douée de sa génération, sa fortune a doublé en moins d'un an.